dimanche 10 juillet 2011

Retour sur le Tamansari, vu par un français en 1895

Dans son ouvrage "Un séjour dans l'île de Java", publié en 1898, Jules Leclercq donne une  description du Tamansari, situé dans le kraton de Yogyakarta.

"De toutes les parties du Kraton la plus curieuse est le fameux château que les javanais désignent sous le nom de Tamansari (Jardin des fleurs), et que les hollandais appellent Watercasteel (Château d'eau), parce qu'il est, en effet au milieu d'un lac. Ce château est une des plus charmantes créations du sultan le bâtisseur, Amangkoe-Boewono, qui régnait à la fin du dix-huitième siècle. Il en avait fait sa maison de plaisance, avec tous les accessoires que réclament les moeurs orientales: étangs, bassins, jets d'eau, grottes, bains, sérail. Le tremblement de terre que provoqua le Mérapi, en 1867, fit de Tamansari un amas de ruines que j'ai trouvées dans un irrémédiable abandon, mais qui témoignent encore du faste des anciens sultans. On y voit de curieux morceaux d'architecture, où l'art oriental se marie à l'art occidental, où le style italien s'épanouit à côté des styles hindou, chinois et javanais. Le château est situé dans une île artificielle, s'élevant en forme de terrasse au milieu d'un vivier qui l'isole si complètement qu'on ne peut y atteindre que par une galerie souterraine creusée sous les eaux et peuplée de chauves-souris et de lézards. Le château est un amas extrêmement confus de murs crevassés, d'escaliers croulants, d'innombrables appartements ruinés, qui n'offrent aucune symétrie; les vestiges de sculpture et de dorure des portes, des fenêtres, des balcons, attestent l'ancienne splendeur de cette demeure princière. Les jardins sont aussi abandonnés que la demeure même: on y rencontre à chaque pas des constructions à demi ruinées, de petits temples, des pavillons, des bassins rectangulaires, des statues de pierre qui servaient de fontaines, des salles voûtées où règne une humidité de cave qui vous pénètre jusqu'aux os: c'est sous ces fraîches voûtes qu'aux heures chaudes du jour, le Sultan et la Sultane venaient s'étendre, après le bain, sur des lits de repos en pierre, sans doute couverts de moelleux tapis qu'ont remplacés des tapis de mousse. Dans les bâtiments qui abritaient le harem, les petits boudoirs des femmes sont en assez bon état de conservation, et j'y ai même vu des vestiges de lits en bois. Au milieu de ces ruines humides s'épanouit une luxuriante végétation de fougères et de plantes grimpantes qui achève de les miner.
La disposition de Tamansari, son isolement au milieu d'un lac, indiquent suffisamment que cette romantique maison de plaisance était un lieu de refuge en cas de guerre ou de troubles.(...)"

L'intérêt de cette description porte plutôt sur le témoignage sur l'état du site en 1895. Pour le reste elle reflète à vrai dire plutôt les fantasmes sur l'Orient de l'auteur, que l'on retrouve dans la peinture orientaliste, le romantisme des ruines en vogue au XIXè siècle, ou encore la projection de la conception du jardin anglais sur le Tamansari.
S'il note à juste titre un étonnant mélange d'influences stylistiques, l'auteur passe en revanche complètement à côté du sens et de la conception du Tamansari comme lieu de retraite et de méditation, sur lequel Denys Lombard nous a éclairé, et que j'ai déjà évoqué dans ce blog.
Cela dit, le style est savoureux.

l'entrée du "château"  en ruines sur l'île, au milieu du lac rectangulaire, en 2010