jeudi 19 mai 2011

sujet à débat: mosquées et Islam à Java

“Je ne suis jamais entré dans une mosquée sans une vive émotion et le dirai-je, sans un certain regret de n’être pas musulman”  
Ernest Renan, dans les Oeuvres complètes éditées à Paris 1961, tome 1 p. 959
la masjid merah (= mosquée rouge) de Cirebon, appelée aussi masjid Panjunan,
 du nom de la rue, avec ses toits superposés si caractéristiques
 des anciennes mosquées indonésiennes (photo JLA)
l'intérieur de la masjid merah, où l'on peut voir son mirhab de style indonésien
et les décors de céramiques encastrées dans les murs de brique. Atmosphère
faite de recueillement de simplicité et d'harmonie (photo JLA)
Depuis les années 1980 le monde musulman connait une réislamisation, après la période de domination de l’idéologie communiste. L’Indonésie ne fait pas exception. Un certain nombre de facteurs explicatifs et de signes peuvent être évoqués.

D’abord l’influence de l’Islam rigoriste wahhabite de l’Arabie Saoudite, forte de ses pétrodollars et de sa maîtrise territoriale des deux plus importants lieux saints de l’Islam. Chaque année des centaines de milliers d’indonésiens font le pélerinage à la Mecque, l’un des cinq piliers de l’Islam. De ce fait le mode de vie arabe est parfois assimilé à l'Islam; il est perçu comme un modèle par beaucoup.

Cependant les facteurs internes ne doivent pas être négligés: l’éducation notamment. Nombre de pondok pesantren (pondok=pensionnat, pesantren=école coranique) accueillent des élèves ou étudiants qui apprennent là l’Islam légal, l’arabe du Livre Saint, et le Coran par coeur. Quand aux autres matières, mathématiques, langues (essentiellement l’anglais), histoire, bien souvent seules des connaissances superficielles sont dispensées. Quant à l'enseignement public il n'est souvent guère plus brillant. Voilà qui ne favorise pas l'esprit critique.
A l'Islam orthodoxe s’ajoute, a priori paradoxalement, un matérialisme triomphant. Il suffit de se promener dans les malls (centres commerciaux) pour observer l’attrait pour les jeunes générations de cette consommation à l’américaine.

Peu à peu les nouvelles générations perdent le sens des traditions culturelles régionales, quelles que soient les régions de l’Archipel (Java, Sumatra, Sulawesi, Kalimantan, ...) et conjuguent l’Islam légal (c’est à dire limité aux respect de règles appliquées bien souvent sans y réfléchir, à l’exclusion de la mystique soufie) et la consommation débile à l’américaine, Hollywood et junk food. 

Une variation de la mondialisation en somme. Un Islam internationalisé sans référence à la culture locale se fait jour:
- groupes extrémistes qui vivent en cercle fermé, dont les femmes arborent le voile intégral dans des couleurs sombres.
- mouvements de révolte sociale instrumentalisés par les groupes d'activistes extrémistes, souvent aidés par quelques gros bras ignards pré-délinquants toujours prêts à en découdre... à titre d’exemple ces derniers mois, des églises brûlées par des groupes d’activistes, les lieux de culte d’un mouvement religieux (Ahmadiyah) se réclamant de l’Islam mais considéré comme hérétique, attaqués et brûlés, des fanatiques frappant les cadavres en criant Allahu Akhbar !
- pression des musulmans extrémistes sur les politiciens (notammant du FPI= Front Pembela Islam = front des défenseurs de lIslam), et se faisant censeur de telle ou telle oeuvre cinématographique... sous prétexte de blasphème ou d'atteinte a la morale, décidant en lieu et place du législateur.

Face à cette situation le Président SBY (Susilo Bambang Yudhoyono) et le gouvernement restent pour ainsi dire passifs, moyennant quelques déclarations pour la forme. Autant dire que chacun fait sa loi et se fait justice à l'occasion, et c'est là qu'est le problème bien entendu, non dans le fait de defendre telle ou telle valeur.

Au regard de ces évolutions, le mysticisme javanais (teinté d’animisme millénaire), le soufisme et la mythique “tolérance javanaise” ne semblent pas être en position de force, malgré une certaine résilience diront les optimistes.

Autre signe qui ne va pas le sens dune ouverture des esprits: les librairies sont rares au regard de la population de l’Indonésie (environ 240 millions d’habitants). Les rayons dominants sont l’Islam (et accessoirement les autres religions), la cuisine, le business, et les romans à l’eau de rose... histoire, culture et arts sont quasiment inexistants en dehors des grandes librairies des grandes villes où ils occupent alors au mieux une ou deux étagères..., ou à Jakarta, on trouve quelques livres en anglais sur ces sujets.
Déculturation et Islam globalisé se reflètent dans la généralisation des tenues vestimentaires féminines islamiques (port du foulard islamique, nommé kerudung, vêtements longs cachant jambes et bras, de préférence ternes) et également dans l'architecture; alors que les anciennes mosquées du monde malais ( Indonésie et Malaisie) possédaient une architecture spécifique, notamment caractérisée par les toits superposés (les historiens débattent de l'origine de cette architecture vernaculaire: survivance des toits des pagodes bouddhistes ou temples hindouistes, ou bien représentation de la montagne, sacrée par nature en tant qu'elle relie le ciel et la terre ?), désormais c'est le modèle moyen oriental plus ou moins bien assimilé ou interprêté qui est reproduit.

en face des temples de Prambanan, une grande mosquée vient d'être édifiée.
Si la toiture est encore un lointain rappel des toitures traditionnelles, le minaret
 jure franchement, en témoigne la toiture d'une construction javanaise voisine.
Sans doute cette démesure manifeste-t-elle aussi l'intention des commanditaires
de faire pendant aux anciens temples hindouistes voisins....
sur la route entre Yogyakarta et Prambanan, on peut voir aussi cette mosquée,
mélange de Disneyland et des Mille et une Nuits.
Ce n'est malheureusement qu' un exemple parmi d'autres créations récentes
Au regard de ces évolutions on peut s'interroger sur l'avenir de ce pays, quant à son unité, son rayonnement et son identité. Assiste-t-on à une arabisation programmée des musulmans d' Indonésie? Que se passera-t-il s'ils veulent un jour imposer l'application de la charia dans l'archipel dont certaines régions sont majoritairement chrétiennes ou hindoue (Bali)? N'y a-t-il pas un risque d'éclatement du pays?

Il reste que c'est peut-être là le point de vue d'un français pris lui-même dans sa vision du monde dans laquelle la religion est une affaire privée, et en quête d'une culture "authentique" fantasmée. Car toute société est forcément en mouvement.

“Je me sens aujourd’hui de plus en plus étranger à l’Islam, alors que j’ai connu des jours où je songeais sérieusement à l’embrasser. On ne s’y frotte pas de près des années durant sans se poser la question. Idéalement, c’est la religion parfaite, dans un rapport personnel avec le divin. Pas de credo incroyable. Pas d’intermédaire. S’efforcer de suivre quelques règles de prière et de conduite. Peut-être est-ce trop simple? Il y a le soufisme. Mais aujourd’hui, en ces temps de résurgences fondamentalistes de tout poil, je suis de plus en plus hostile à tout ce qui ressemble à un appauvrissement des qualités du coeur, un obscurcissement de l’esprit, une mise sous le boisseau de la raison, mais aussi des forces de vie, de joie, de constante résurrection. Mon coeur se serre à la vue de toutes ces jeunes femmes voilées. on n’en voyait pour ainsi dire pas, il y a vingt-cinq ans, c’était même impensable.”
François-René Daillie, La lune et les étoiles. Le pantoun malais. Récit-essai-anthologie
Editions Les Belles Lettres 2000, p.93

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