lundi 13 juin 2011

Insanul Kamil à Cirebon

Au petit musée du kraton Kanoman à Cirebon
On trouve dans le petit musée du kraton Kanoman à Cirebon une étrange peinture sous verre. La présentation des objets (je n'ose pas dire des collections) relève à vrai dire plutôt de l'entassement sans ordre et la peinture en question est posée à terre, appuyée au mur avec d'autres peintures et panneaux de bois sculptés.
L'on y voit au centre comme une montagne lumineuse, auréolée, entourée de part et d'autre d'arbres au feuillage inhabituel. Au coeur de la "montagne", des inscriptions apparemment islamiques dans un cercle, et une autre montagne miniature. Dans le ciel des nuages stylisés (mega mandung) et sur terre des rocailles (wadasan), dans le style de Cirebon, influencé par la Chine.

Je m'enquiers du nom donné à cette peinture et l'on me répond que c'est une représentation d'Insanul Kamil. Une recherche ultérieure m'apprend qu'Insanul Kamil n'est autre que la transcription indonésienne de l'Insan al-Kamil, "L'Homme Parfait" selon Ibn Arabi et ses disciples. Le concept théologique est complexe et je ne m'aventurerai pas plus avant, si ce n'est que mes interlocuteurs indonésiens disent spontanément que L'Homme Parfait, c'est le Prophète Mohammad.

Qui en est l'auteur? car elle est reproduite assez fidèlement avec seulement quelques variations de couleurs par des peintres sous verre locaux. Est-ce la peinture du kraton qui a été réinterprétée par ces quelques artistes locaux? 
Car enfin, je n'ai pas connaissance que cette représentation de l'Insan al-Kamil ait son équivalent dans d'autres pays de tradition musulmane (on explore en vain les livres d'art relatifs à l'art musulman), ni même ailleurs en Indonésie. Il s'agirait donc d'une tradition palatine locale.

Outre la question de l'origine, décripter une telle peinture n'est pas chose évidente.
D'abord, problème classique de l'art, comment une peinture peut-elle exprimer un concept religieux? Ladite peinture est puissamment chargée de symboles dont beaucoup m'échappent mais elle n'en demeure pas moins fascinante.

Une copie de cette peinture est commandée à un atelier local dont le maître semble versé tout à la fois dans la tradition locale et dans la mystique javanaise et musulmane : tous les éléments de la peinture du kraton y figurent: montagne, arbres, mega mendung et wadasan. mais au coeur de cette "montagne" il y le feu divin rougeoyant. Au coeur de cette silhouette il y a un motif centré et ailé dans un cercle. Des inscriptions dans le cercle, le peintre dit qu'elles sont indéchiffrables; spontanément on croit y voir des inscriptions islamiques, mais il s'agit en fait pour la plupart d'inscriptions dénuées de sens, ayant un caractère magique.

Interprétation de l'atelier du peintre Katura
Interprétation du peintre verrier Adjib
Dans l'attente d'un décryptage plus détaillé des symboles, il est possible dans un premier temps de faire quelques rapprochements avec d'autres représentations locales, et de se laisser porter par le mouvement de ces images.
L'illustration de couverture d'un livre d'un livre récemment paru étaye un rapprochement avec la mystique islamo-javanaise:
traduction du titre: "La science secrète (Makrifat)
 javanaise. Le sens (makna) véritable (sejati) de la vie (hidup)".
Syekh Siti Jenar et les Neufs Saints" (il s'agit des Saints
qui sont réputés avoir islamisé Java).
En fait la peinture sous verre qui illustre la couverture de cet ouvrage est de l'artiste cirebonais T. D. Sudjana, et la peinture en question est visible à Jakarta au musée Baitul Quran. Elle a pour titre "Alam Shaghir"( littéralement alam=nature/monde, shaghir=paradis). On pense aux jardins de paradis en terre d'Islam.
wadasan (rocaille), mêmes arbres, toiture du pavillon en forme de montagne et calligraphie islamique

Ce même artiste a d'ailleurs aussi peint une interprétation d'Insanul Kamil où triangles et verticalité paraissent encore plus accentués:


Au même kraton Kanoman, l'un des batiments présente une architecture hors du commun. Outre que le bâtiment lui-même est légèrement coudé, on ne peut s'empêcher de rapprocher de nos peintures de montagnes mystiques la façade où tout, dans le dessin architectural, n'est qu'élancement vers le ciel.
bangunan (=bâtiment) Gajah Mungkur, ou Garuda Mangkur
selon la brochure d'informations fournie par le kraton Kanoman.
Façade côté accès au kraton
idem. Façade dans la cour du kraton.
Sous l'arche du fronton une cloche est visible,
qui rythmait jadis le temps du kraton.

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